Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film:
Le Cercle des poètes disparus - Dead Poets Society
de Peter Weir
USA, 1989, 2h09
Ce dossier s'adresse aux enseignants qui verront le film avec leurs élèves (entre treize et dix-huit ans environ) ainsi qu'aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder ce film avec un large public d'adultes. L'extrait qui suit est tiré d'une analyse originale du film, qui s'attache notamment aux moyens utilisés par les scénaristes pour favoriser l'identification du spectateur aux différents personnages. Le dossier propose également des activités d'écriture poétique à mener avec les participants (adolescents ou adultes) ainsi qu'une analyse approfondie de l'idéologie romantique dont s'inspire ce film.
Un élément important du rapport du spectateur au film est le processus d'identification. Si elle apparaît dans quasi-tous les films parfois a contrario, lorsque le spectateur rejette un personnage jugé trop négatif le Cercle des poètes disparus en offre un exemple particulièrement clair. L'analyse du récit montre quels éléments contribuent à la produire.
Dans une première partie du film, on voit s'installer les différentes instances du récit :
Les séquences qui permettent au spectateur de «faire connaissance» avec ces instances se suivent alternativement. Ainsi, lors des premières scènes, on assiste à la rentrée des élèves, au discours du directeur. Première prise de contact avec l'école, pour les «nouveaux» et pour le public !
Un peu plus tard, c'est l'installation dans leur chambre de deux élèves : Neil Perry et Todd Anderson. Ils sont bientôt rejoints par quelques autres : Knox, Steven, Charlie, Richard... Enfin, lors du premier cours de littérature, on découvre, en même temps que les étudiants, le nouveau professeur : M. Keating.
Chaque scène permet donc d'en apprendre un peu plus sur ces différentes instances. Par exemple, on assiste brièvement à quelques cours, ce qui contribue à se faire une idée plus précise de l'institution scolaire. Les séquences se suivent donc, centrées sur chacune de ces instances.
Cette première partie du film montre, probablement le plus clairement, les deux types d'éléments qui font «rentrer le spectateur dans le film» : les stéréotypes et les éléments «sursignifiants».
1) On peut qualifier des situations, des comportements ou des personnages de «stéréotypés» s'ils sont banals, sans originalité et s'ils suscitent certaines attentes de la part du spectateur. Par exemple, la rentrée scolaire est une situation immédiatement identifiable : on y voit les nouveaux élèves un peu désorientés et émus, les mères qui font les dernières recommandations à leurs garçons, la cérémonie avec le discours du directeur toutes sortes de choses qu'on attend lors d'une rentrée scolaire. Autre exemple : Todd est immanquablement repéré comme un «nouveau». Il est hésitant lors de la cérémonie de rentrée, il ne sait pas quand il doit se lever et énoncer avec les autres la devise de l'école et attend pour cela qu'un coup de coude le secoue.
2) Certains éléments sont «sursignifiants» dans la mesure où, au-delà de leur signification immédiate, dénotée, ils sont porteurs d'une autre signification, secondaire, suggérée, connotée.
L'Académie Welton, par exemple, située dans la campagne du Vermont en 1959, avec son architecture «néogothique», sa fresque devant laquelle les nouveaux se font photographier, ses vieux escaliers, porte, outre toutes ces caractéristiques évidentes, un sens connoté : c'est une école de tradition et de discipline, sans grand rapport avec les écoles d'aujourd'hui, etc La devise «Tradition, honneur, discipline, excellence» conforte d'ailleurs ultérieurement le spectateur dans ce sens.
De la même façon, lorsque le directeur salue Todd et l'encourage à suivre le modèle de son frère aîné, un ancien élève très brillant, on apprend, au-delà de ce simple fait qui est, par ailleurs, totalement inutile à l'histoire, que Todd est et probablement sera toujours comparé à son frère, ce qui explique qu'il soit timide et probablement complexé de ne pas être aussi bon élève. On comprend, dès lors, avec quel handicap il entre à Welton. On voit donc qu'un supplément d'informations vient s'ajouter au simple énoncé des faits.
Stéréotypes et éléments sursignifiants, qu'on a distingué un peu arbitrairement, se recouvrent, en fait, assez largement. Ils contribuent au repérage des différentes instances, et on peut, à la fin de cette première partie, résumer ainsi les traits de chacune de ces instances :
Si les stéréotypes permettent d'identifier et de comprendre facilement les situations, les comportements ou les personnages, il faut noter qu'ils ne sont pas figés. Ils évoluent et disposent d'une certaine marge de manœuvre.
Ainsi, les élèves du groupe d'étude correspondent assez bien au stéréotype «fort en thème». Ils en ont certains traits : chacun a une matière de prédilection, ils ont travaillé certains cours pendant les vacances, ils révisent dès le premier soir d'école, ils recherchent la compagnie d'autres bons élèves et réservent leur solidarité à ceux-là (dans la scène des retrouvailles de ces quelques amis, ils se demandent, après avoir fermé la porte, s'ils vont accepter Richard Cameron dans leur groupe et si celui-ci est vraiment bon dans une matière). Mais ils échappent à d'autres traits du «fort en thème»: ils sont décontractés, sympathiques, ils ont de l'humour, ils ne sont ni fayots ni mouchards
La même séquence fournit un autre exemple. Les retrouvailles sont l'occasion de réaffirmer les liens du groupe : pour cette raison, ils resservent la vieille plaisanterie qui consiste à transformer la devise de l'école en «Travesti, horreur, décadence, excrément» et à remplacer «Welton» par «Welcon». Voilà bien un exemple typique de l'humour potache un peu facile des étudiants. Pourtant, on pouvait s'attendre, de la part d'un groupe aussi fermé, à une plaisanterie codée qui serait incompréhensible pour ceux qui ne font pas partie du groupe. Ici, l'exemple de l'humour étudiant correspond au trait «potache» mais pas au trait «codé». De la même façon que les stéréotypes ne sont pas tout-à-fait figés de manière à pouvoir déjouer en partie les attentes qu'ils ont suscitées, le groupe n'est pas à ce point fermé que le spectateur ne puisse y entrer, tout comme Todd.
On peut remarquer à cette occasion que le spectateur, dans chacune des séquences de mise en place des instances, trouve sur l'écran un personnage naïf, comme lui, qui a aussi besoin d'informations : lors de la rentrée, ce sont les nouveaux élèves qui ne connaissent pas encore l'école. Lors des retrouvailles des «anciens élèves», c'est Todd qui ne fait pas encore partie du groupe. Au premier cours de Keating, ce sont les étudiants du groupe (dont le spectateur fait désormais partie) qui n'ont encore jamais rencontré ce nouveau prof. D'une manière générale, dans cette phase d'identification des instances, le spectateur retrouve dans le personnage de Todd sa situation de «naïf».
La première partie du film correspond donc à la première phase de l'identification, celle où le spectateur repère les différentes instances du récit.
La suite du film contribue à identifier de manière beaucoup plus précise les instances du récit. On voit aussi apparaître des réactions vis-à-vis de l'attitude de Keating. Cours après cours, celui-ci transmet son message: «Carpe diem», profite du jour présent, il faut vivre pour ses passions, il faut toujours regarder le monde sous un angle différent, il faut trouver sa propre cadence Les personnalités se différencient, au cours de l'histoire de chacun ou de celle du groupe. Par exemple, Neil, conforme à l'image du décideur, prend l'initiative de reformer le «Cercle des poètes disparus». Il est aussi attentif aux problèmes de Todd et cherche à l'aider. Knox, suite à sa rencontre avec Chris, va apparaître comme l'amoureux sincère (il est complètement abasourdi par Chris; il lui écrit des poèmes; il hésite à lui téléphoner), tandis que Charlie ne rate pas une occasion de se montrer grivois (lors d'une réunion dans la grotte, il fait voir une photo de femme nue; plus tard, c'est lui qui amène deux filles au «cercle»; il se maquille le torse en signe de virilité). Les autres apparaissent comme des suiveurs plus ou moins hésitants. Quant à Todd, il reste fidèle à l'image du jeune homme timide et fragile.
En fait, les leçons de Keating agissent comme des révélateurs. C'est ce qu'on pourrait appeler un «professeur de désir». Au cours d'une des premières leçons, il cite Whitman: « que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime» et il ajoute: «Quelle sera votre rime?». A partir de ce moment, les élèves vont découvrir leur désir, lié à leur personnalité. On peut noter à ce propos que chacun se trouve une voie qui n'est pas sans rapport avec son milieu d'origine et accentue ainsi un aspect de sa personnalité qui n'est pas choisi au hasard. Neil, d'origine modeste (lors d'une conversation avec Keating, il lui dit que ses parents n'ont pas beaucoup d'argent et qu'ils consentent un lourd sacrifice pour ses études) va délaisser son ambition d'être médecin pour sa passion du théâtre. Vocations humaniste ou artistique, toutes deux sont conformes cependant à cette volonté d'idéal qu'il personnifie. Pour Knox, qui se prépare à succéder à son avocat de père, c'est l'amour qu'il découvre. Quant à Charlie, fils de banquier, c'est le sexe qui l'intéresse. Est-ce par hasard que des liens se nouent ainsi entre pauvreté et idéal de soi, entre justice et amour, et enfin entre argent et sexe ?
À ce stade, le film privilégie l'histoire de Neil et celle de Knox. Le cas de Charlie est un peu anecdotique. Quant à Todd, son histoire n'avance pas, mais ses problèmes se précisent quelque peu. (Notamment lors de l'épisode où il reçoit de ses parents comme cadeau d'anniversaire le même nécessaire de bureau que l'année précédente. Neil est là encore une fois, pour l'aider à passer outre à ce problème, en l'encourageant à se débarrasser de ce cadeau.)
On peut d'ores et déjà noter que chacun de ces étudiants représente une facette de toute personnalité: la vocation artistique ou humaniste, la recherche de l'amour parfait, le goût des «grivoiseries», la timidité sont des tendances qu'on retrouve sans doute en chacun de nous, même si elles sont modulées différemment. Autrement dit, ce groupe apparemment très divers «fonctionne» en fait comme la représentation d'une individualité «moyenne»: en chacun de ces personnages, le spectateur reconnaît une part de lui-même, et s'identifie à l'un ou à l'autre selon les séquences. C'est la deuxième phase de l'identification, celle où le spectateur passe du repérage de la signification des différentes instances du récit, à une participation beaucoup plus forte aux désirs et aux émotions que véhiculent des personnages.
Il faut encore remarquer que, outre le fait que Keating indique leur désir aux étudiants, son message «Carpe diem» a un effet «désinhibiteur», dans le sens où il aide les garçons à surmonter les obstacles à leur satisfaction. Knox en offre deux exemples: il veut téléphoner à Chris. Il forme le numéro et raccroche dès qu'il entend sa voix. Ensuite, il s'encourage d'un «Carpe diem» et recommence cette fois avec succès. Plus tard, à la soirée de Chris, Knox, déjà un peu éméché, hésite à l'embrasser quand il la voit endormie sur un sofa. Il vide d'un trait son verre de whisky, lâche un «Carpe diem», et se décide à déposer un baiser sur son front. Tout comme l'alcool a pour effet de faire oublier ce qui retient à agir, «Carpe diem» lève aussi les inhibitions.
De la même façon encore, Neil décide d'oublier la promesse faite à son père et se consacre à sa passion du théâtre; le groupe enfin court le risque de la punition et reforme le «Cercle des poètes disparus» en reprenant les réunions secrètes dans la grotte.
Pour Todd, la «libération» est plus douloureuse, mais, sous l'influence énergique de Keating, il arrive enfin à s'exprimer, lors du cours où chacun doit lire un poème qu'il a écrit.
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