Trip psychédélique et érotique avec un extraordinaire Daniel Craig, le film du réalisateur de Call Me by Your Name est une nouvelle évocation, existentielle et mélancolique, de l’obsession amoureuse et de la solitude masculine
Dans le Mexico des années 1950, Lee, un Américain, mène une vie désabusée au sein d'une communauté d’expatriés. L'arrivée du jeune Allerton va bouleverser l’existence de Lee et faire renaitre en lui des sentiments oubliés.
Tiré d’un roman de William S. Burroughs, écrivain de la Beat Generation qui en connaissait un bout en matière d’audaces stylistiques, Queer voyage entre le réel et l’onirique, le bonheur et la tristesse, la jeunesse et la vieillesse, en privilégiant les personnages à la dramaturgie. Il dévoile, sans fard et respectueusement, les sentiments hauts en couleur qui résultent d’existences vécues dans la fièvre du désir avec, souvent, ce que cela comporte de tragique et de désespéré.
Ce film traduit ainsi, dans son caractère le plus intime, l’intensité d’une passion amoureuse et sexuelle dévorante, à la recherche de l’extase absolue. Tout s’inscrit dans un cadre de carte postale rétro, comme déconnecté du vrai monde, dans un univers d’hôtels et de bars, de balades nocturnes dans des quartiers en marge. Là-bas, les êtres se croisent, discutent, se regardent surtout, en quête d’expériences.
Par l’intermédiaire d’une lumière chaude inspirée de la peinture classique, d’une B.O. aux standards pop-rock qui électrisent l’atmosphère, de mouvements de caméra sensuels et d’effets spéciaux qui rendent concrètes les visions hallucinatoires des personnages, Lucas Guadagnino travaille les plans de son film comme un orfèvre de la mise en scène, sans se regarder filmer.
Toute l’ambition esthétique du cinéaste demeure au service de ses personnages, sublimés à tout instant. Au centre, en quinquagénaire borderline, Daniel Craig réussit une interprétation sidérante à travers laquelle il exprime, si adroitement, cette forme de fragilité psychique et physique.
Parce que ce cinéma sensoriel et expérimental qu’il incarne aime tant les traduire à l’image, Queer téléporte ainsi ses héros vers les zones inexplorées de leur intériorité, quand ils finissent par ne plus savoir où le voyage les mène, du rêve au cauchemar. Proposition rare, ce film a les allures d’une expérience de vision vertigineuse et terriblement émouvante.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux