Construit à partir d’images d’archives, ce documentaire retrace le parcours extraordinaire du plus grand champion cycliste de tous les temps : Eddy Merckx. Un film émouvant qui restitue la majesté et la poésie d’un sport noble et exigeant, tout en captant la fragilité d’un être humain derrière le mythe
De 1967 à 1975, Eddy Merckx a tout gagné, tout dévoré, sans rien laisser à ses concurrents. En moins d'une décennie, il s’est imposé comme l’icône absolue du cyclisme mondial. De cette légende du sport belge et international, ce sont des quantités d’articles, d’images et de reportages qui ont été produites depuis ses premières victoires. Ce récit médiatique imposant s’est constitué au fur et à mesure des années, jusqu’à aujourd’hui, où Merckx fait encore l’actualité dès qu’il est question de rendez-vous cyclistes. Mais si, pour certains, Merckx est presque devenu un nom commun synonyme d’exploits, une fierté nationale, il ne dit peut-être plus grand chose aux nouvelles générations, logiquement de plus en plus déconnectées de ses années phares...
Aujourd’hui, comment raconter Merckx et se distinguer des évocations le concernant déjà ? Christophe Hermans et Boris Tilquin répondent à la question en réalisant un pur film de cinéma, pensé pour le grand écran, surtout parce qu’il nous apprend à connaître un homme humble, touchant et élégant derrière l’image du héros sportif en contrôle permanent. Le film est l’histoire d’un mouvement intense de tous les instants, d’un rythme de vie robotique, étudié, calibré pour atteindre des objectifs phénoménaux (record de l’heure et de victoires au Tour de France, etc.) et dans lequel les sentiments sont contradictoires, allant du haut vers le bas, de la joie à la tristesse, de l’amitié à la jalousie. Il capte aussi par instant l’humeur légère d’une Belgique vintage en noir et blanc ou en couleurs, mais aussi celle, plus dure et politique, de ses querelles linguistiques. Comme une traversée de notre histoire des années 1960-70 à coups de pédale, le nez dans le guidon, le sport et la sociologie ayant des choses à partager.
Les cinéastes révèlent la grandeur et la force qui se cachent derrière des images de courses a priori banales, par la place que celles-ci occupent dans le montage du film. Cette puissance, voire cette vérité, ils la trouvent aussi dans des séquences au cœur de la famille Merckx. C’est l’espace central et imposant dans la vie d’un fils qui veut prouver à son père qu’il est capable de réussir quelque chose, d’un homme qui, selon sa sœur, ne supporte pas l’injustice. On rentre alors dans les zones plus intimes d’un film qui, s’il célèbre un homme d’exception, est avant tout sensible à ce qui se cache derrière. Il témoigne des efforts surhumains qu’Eddy doit produire pour atteindre ses rêves, comme à ces fissures qui façonnent sa personnalité foncièrement si fragile.
Le film atteint alors une forme de mélancolie, une atmosphère borderline où l’on voit que tout ne tient qu’à un fil. La séquence où l’on trouve Eddy couché en pleurs sur son lit, interviewé par un journaliste après un contrôle antidopage positif, alors qu’il clame son innocence, est sans doute celle qui rappelle à quel point ces sportifs sont comme nous : ils ont aussi des larmes qui peuvent surgir des yeux. En montagne, en pleine ascension, lorsqu’un spectateur lui donne un coup de poing dans l’estomac, c’est l’intensité d’une séquence de tragédie d’un autre temps que les cinéastes nous font ressentir. Le film exploite les images et le montage de telle sorte que nous avons la sensation de vivre les choses en direct, très proche d’Eddy. Quand il est filmé en train de descendre un col à tombeau ouvert, c’est toute la dimension romanesque et épique du héros de fiction qui surgit dans le brouillard, quand la vie tutoie la mort.
Par leur sens de la concision et leur regard plein d’humanité, en nous connectant au corps et à l’âme d’un homme qui va au bout de lui-même, Christophe Hermans et Boris Tilquin réussissent à transformer ces images d’archives en un moment de cinéma personnel, spectaculaire, intime et moderne. Leur film nous montre qu’Eddy a la grâce et la simplicité des plus grands, à l'image d’Elvis, à qui il ressemblait clairement dans sa jeunesse.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux