Immersion dans une cellule familiale au bord de l’implosion, Jouer avec le feu est une grande fiction sur notre époque gangrenée par l’extrême droite, avec en toile de fond le conflit des générations. Porté par des comédiens exceptionnels, ce huis clos réaliste aux échappées lyriques secoue et bouleverse pour mieux réveiller les consciences, sans ostentation
Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste, impuissant, à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension...
Que peut un père de famille face à la destinée choisie par son fils ? Cette question, le film s’en empare non pour y répondre totalement (ce qui parait impossible en moins de deux heures), mais plutôt pour ouvrir des pistes et montrer ce qui pourrait précipiter, a priori (on souligne), pareil destin.
Jusqu’au-boutiste dans ses intentions, assumant totalement le sombre caractère de son récit, le film des sœurs Coulin (révélées à Cannes en 2011 avec 17 filles) est une photographie nuancée de notre société. Ce fils qui se détourne du bon chemin, le film ne le juge pas. Quand, au détour d’une scène, il quitte sa chambre en glissant le long des escaliers, tel un animal insaisissable qui ne fait rien comme les autres, c’est pour aller retirer les chaussures de son père qui s’est endormi lourdement sur son lit, sans se déshabiller. Sans didactisme pour autant, les réalisatrices brossent parallèlement le portrait d’un second fils qui, lui, semble réussir dans son parcours de vie sans avoir pour son frère un rejet total
Jouer avec le feu est une évocation éloquente de la façon avec laquelle l’extrême droite vampirise et détruit tout, à travers le portrait d’une jeunesse aussi belle qu’inquiétante et d’un père porté par de justes revendications sociales, somme toute la clé de voûte d’un film sur le basculement. Les sœurs Coulin font état de cette cassure sociale très inquiétante où il est plus facile, aujourd’hui, d’aller vers l’extrême droite que vers la gauche.
Impliqué dans son travail de cheminot, ce père est à deux doigts de tout lâcher face à une société de plus en plus violente et dogmatique qu’il peine à comprendre. Longtemps après la vision, on garde en tête la fragilité qui se traduit dans son regard lorsqu’il échange avec ce fils devenu un autre. Une fragilité pleine d’impuissance, ce qui est encore plus terrible.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux