« En apparence, tout va bien » : c’est par ces mots que s’ouvre D’Abdul à Leïla, un documentaire en « je » qui nous plonge dans les méandres de deux mémoires fragmentaires, tues, effacées ou recouvertes par la grande et la petite histoire
Abdul est exilé en France depuis plusieurs décennies. Il est Irakien, a lutté, a été persécuté, s’est caché et a finalement fui son pays pour fonder une famille en France. Sa biographie est faite d’exils et d’un irrépressible
besoin de défendre un avenir démocratique pour son pays. Une de ses filles, Leïla, est une artiste. Elle dessine, peint, et a toujours préféré le chant à la parole. À la suite d’un accident, elle est devenue amnésique. Depuis lors, elle vit un double exil : sa mémoire l’a quittée, tandis qu’elle-même est partie à l’étranger pour que personne ne voie ce qu’elle a perdu.
Le film nous raconte la tentative de Leïla de reconstruire son passé, ce qui ne lui sera possible qu’en se rapprochant de son père, de son pays, de sa langue, de ses poèmes. Au gré des multiples croisements de leurs récits fragmentaires, elle parvient progressivement à mettre des mots sur ce qu’elle a été et sur ce qu’elle est.
Dans D’Abdul à Leïla, la quête de la réalisatrice ne se pare pourtant jamais des apparats du suspense. Par ses multiples enchevêtrements d’images, Leïla Albayaty démontre plutôt que la mémoire, traquée ou retrouvée, n’est jamais un instantané fidèle. Elle est dynamique, elle se dessine en traits rapides et vifs, elle se chante à la façon d’un chœur grec, elle s’invente et se brouille au gré d’une langue étrangère qu’on apprend. Si bien qu’on finit par se dire que, si vérité il y a dans ce film, elle ne peut se loger que dans les interstices sensibles et discrets tracés entre les vidéos, les photos et les dessins qui, pris séparément, jamais ne répondent à cette double question scandée par la voix de la réalisatrice au début du film : « qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? »
JEREMY HAMERS, ULiège