Cette histoire d’amour contrariée sur fond de violence et de déterminisme social est une grande réussite, sublimée par une mise en scène de ouf. Gilles Lellouche s’assume totalement comme cinéaste et signe le film français le plus attendu de la rentrée, divertissant et ambitieux
Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Puis leurs destins se croisent et c'est l'amour fou. La vie s'efforce de les séparer, mais rien n'y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules d’un même coeur...
Après Le Grand Bain, Gilles Lellouche confirme qu’il est un cinéaste qui ne manque ni d’idées ni de capacité à se renouveler (et donc à surprendre).
L’Amour ouf est une très bonne surprise de cinéma qui assume le premier degré de son histoire très roman-photo. Par la sincérité de son regard et l’ambition de son geste artistique, le film étonne franchement et touche juste.
Sur fond de déterminisme social, cet ample récit initiatique suit la trajectoire de personnages qui passent de l’adolescence à l’âge adulte, au coeur d’un environnement sociologique marqué par la lutte des classes et la violence. Il s’agit de l’évocation d’un coup def oudre et du destin de deux amants empêchés de s’aimer librement, freinés perpétuellement dans leur élan, mais aussi d'amitiés trahies. Cette histoire est soutenue par une mise en scène XXL qui, gourmande, plonge dans la boîte à outils du cinéma pour construire une matière formelle explosive (image scope, bande-son puissante, mouvements de caméra complexes…). Le résultat est d’abord désarçonnant, tant il ressemble à un feu d’artifices, puis convainc tant cette surenchère est justifiée car en phase avec le parcours chaotique et les sentiments écorchés des personnages.
Par son lyrisme et son caractère très rythmé (la comédie musicale n’est jamais loin), la mise en scène annihile sur son passage ce qui n’aurait été que de purs clichés dans une production banale. L’Amour ouf est clairement un film de cinéma, soutenu par un propos lucide et sensible.
Gilles Lellouche, par la générosité de son geste que l’on sent être la conséquence de sa cinéphilie et d’une vision très personnelle du monde et des sentiments, donne beaucoup d’épaisseur et d’authenticité à des figures (la jeune fille issue de la classe moyenne face à un jeune garçon prolétaire) et une géographie (le bassin minier du Nord de la France à l’abandon) pourtant très codifiées.
Soutenu par un rythme frénétique qui accumule les séquences fortes pour donner corps à ce tourbillon de la vie qui fait tout chavirer, L’Amour ouf connecte le style d’un polar américain (pour son côté mafieux nerveux) à celui d’un film d’auteur français (pour son portrait d’une adolescence fragile) empreint de nostalgie (les années 1980) tout en étant connecté à son époque (les relations hommes-femmes, la déconstruction de la masculinité toxique…). C’est à la fois ultra-violent et terriblement mélancolique, et ce choc des contraires est agréablement déroutant.
Il y a une forme d’innocence et de beauté à filmer un coup de foudre amoureux en assumant si frontalement le premier degré, en défiant les clichés pour mieux les dompter. Derrière ce geste franc et finalement peu consensuel (la presse à Cannes était d’ailleurs particulièrement divisée) se cache une grande sensibilité, un romantisme pur et dur, une envie de réussir un film bigger than life où se mélange les genres, spectaculaire et intime, comme on en voit peu dans la production française. L’Amour ouf porte résolument bien son titre !
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux