Cette chronique familiale sur l’exil et l’identité se déploie sous la forme d’un conte qu’un joli et inspirant supplément de poésie écarte totalement du conventionnel
Amel et sa famille apprennent que leur propriétaire souhaite récupérer son appartement d’ici quelques mois. Alors que Mouna, sa fille aînée, commence à avoir des visions de Charles Martel et que leur demande pour un nouveau logement social s’éternise, Amel n’a plus d’autre choix que de se réinventer…
À son récit intimiste familial, inspiré de ses souvenirs personnels, Manele Labidi (Un divan à Tunis) superpose une touche de fantastique plus qu’inspirée. Ce geste est la conséquence d’une démarche cohérente qui veut faire le lien avec le passé et montrer à quel point un héritage, mal transmis, réinterprété, peut renforcer le racisme et fragiliser l’épanouissement personnel.
Ce pan de l’histoire encombrant, en l'occurence, c’est Charles Martel, chef militaire franc né en 688… à Andenne. Une figure souvent employée par l’extrême droite française, car devenue le symbole d’une opposition entre l’islam et le monde chrétien. Mais la réalité historique serait bien plus nuancée… Coproduit par les Liégeois de Frakas Productions, Reine Mère questionne à sa façon l’Histoire, la fusionne au présent avec le but de casser les préjugés et de (re)faire communauté.
À l’instar de nombreux films américains familiaux des années 1980, un compagnon imaginaire apparait littéralement dans le plan sans aucun effet spectaculaire, tel un ami que seule Mouna voit, pas comme un monstre repoussant. Pataud et rigolo dans sa lourde tenue en cote de maille, cet ami est justement Charles Martel. Il est là pour embellir le quotidien d’une enfant, lui donner le courage et la force d’explorer son identité. Ce qui aurait pu être une fausse bonne idée encombrante ne l’est pas. Ce fantastique très premier degré est assumé. Il fusionne avec le niveau réaliste de l’histoire car la complicité est totale entre Mouna et Charles, à tel point qu’on oublie d’où vient ce personnage excentrique. Il ressemble tout bonnement à ce pote de classe qui sait toujours s’y prendre pour faire de la vie banale une aventure. L’intelligence de l’histoire veille à ce que rien ne soit jamais balisé, que rien ne soit tragique non plus. Les parents de Mouna restent dans le jeu, sont dépeints complices et proches de leur fille. Il y a de la générosité et de la solidarité qui s’expriment à travers cette famille, tant elle parait soudée et de bonne humeur, malgré les difficultés.
Film d’aujourd’hui, récit initiatique modestement ambitieux, Reine Mère aborde des thématiques importantes avec délicatesse, en témoignant d’une totale bienveillance à l’égard de personnages, magnifiquement incarnés, qui cherchent à réenchanter un contexte social et intime semé d’embûches.
Finalement, cette forme d’excentricité ressentie et contrôlée (pas irritante, donc), tout en énergie et rupture de ton, qui l’emmène souvent aux portes de la comédie musicale, distingue Reine Mère d’un film socio-politique classique. Elle en fait une œuvre résolument fragile, ludique et donc attachante.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux