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Bien plus qu’un polar rural et naturaliste, Miséricorde explore l’âme humaine et les mystères du désir au coeur d’une campagne peu visitée de la sorte par le cinéma français. Un des tous grands films de l’année, totalement à part et intemporel, qui entrecroise habilement la mélancolie, l’humour, la noirceur et la beauté
Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue...
Avec les frères Larrieu (Le Roman de Jim), Alain Guiraudie est le cinéaste français qui filme le mieux la nature et la ruralité. Il les délaisse de toute imagerie de carte postale pour en révéler leur part d’ombre. Il montre à quel point elles ont une influence sur le comportement et l’âme de celles et ceux qui les habitent ou les traversent à nouveau, à l’image du personnage principal, Jérémie, un quadragénaire de retour dans ces lieux fréquentés jadis.
Alain Guiraudie s’attarde sur le climat de ce monde retiré de tout, il en extrait poétiquement toute la substance jusqu’à nous la faire ressentir au plus profond de nous (le bruit du vent, le passage du jour à la nuit, le silence d’un bourg endormi…). Il cartographie merveilleusement l’espace, à tel point que l’on se sent aussi habitant des lieux, connaisseur de tous leurs recoins sur lesquels le temps a laissé sa trace et qu’empruntent les personnages. C’est alors un huis clos à ciel ouvert, au coeur de grands espaces, qui se déploie merveilleusement sous nos yeux et, à travers lui, une tension sourde qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin.
Tout en étant un très grand scénariste capable de circonscrire une intrigue aux multiples ramifications dans des espaces restreints et d’imprimer un suspense de type policier, Alain Guiraudie ajoute fort à propos une touche de décalage et d’humour, car il refuse d’être totalement sérieux et austère. Cela passe par des dialogues finement écrits et une formidable interprétation d’ensemble. Les personnages, tous aimés profondément par Guiraudie, ne ressemblent à rien de convenu. Leur visage, le ton de leur voix, leur allure, leur corps, tout chez eux est troublant et déstabilisant, car en même temps drôle, sensible, beau et grave.
Miséricorde s’intéresse ainsi essentiellement aux sentiments intérieurs et à la fragilité des êtres. Il explore les relations interpersonnelles, ce qui nous relie, ce qui nous attire les uns vers les autres, pour le Bien comme pour le Mal.
C’est un film passionnant, stimulant et très émouvant qui rappelle — une nouvelle fois — qu’Alain Guiraudie est l’un des tous grands cinéastes d’aujourd’hui.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux
