Cette fable émouvante à connotation sociale évite les clichés et le pathos qui lui tendaient pourtant les bras et est en fait une excellente réussite qui confirme le talent de conteur et la sensibilité d’Emmanuel Courcol (Un triomphe)
Thibaut est un chef d’orchestre de renommée internationale qui parcourt le monde. Lorsqu’il apprend qu’il a été adopté, il découvre l’existence d’un frère, Jimmy, employé́ de cantine scolaire qui joue du trombone dans une fanfare du nord de la France. En apparence, tout les sépare, sauf l’amour de la musique. Détectant les capacités musicales exceptionnelles de son frère, Thibaut se donne pour mission de réparer l’injustice du destin. Jimmy se prend alors à rêver d’une autre vie…
Se faufilant entre les pièges que lui tendait à bras ouverts son récit, En fanfare se révèle une fable subtile sur la famille, dans une veine réaliste du cinéma social et humaniste de Ken Loach. Il emprunte une trajectoire située entre celles, balisées, des cinémas art et essai et commercial, destinée à toucher tous les types de public sans compromis. En somme, il incarne un cinéma français plus artisanal qu’artistique qui se focalise moins sur la forme pure, judicieusement discrète, que sur l’efficacité narrative et émotionnelle.
L’histoire convoque deux univers culturels opposés, la classe bourgeoise (un célèbre chef d’orchestre) et la classe ouvrière (un modeste employé communal), pour mieux contourner les clichés d’un cinéma didactique qui joue la carte des clivages politico-sociaux. Emmanuel Courcol réalise un film qui ne se prive pas de bons sentiments, pris au sens noble. Il le fait avec la lucidité du cinéaste qui sait pertinemment que la croyance du spectateur ne passe que si le contexte (relationnel et social) dans lequel s’inscrit la fable est crédible et s’il peut s’identifier aux personnages, à tout le moins les comprendre.
Dans cette histoire, ce qui rend difficile la marche du destin n’est pas mis de côté. Comment briser les chaines du déterminisme social qui emprisonnent les êtres dans des cases ? Comment construire une relation avec un frère que l’on n’a jamais connu ? Comment ne pas faire de mal en voulant faire trop de bien ? Ces questions traversent un film qui gère harmonieusement l’émotion pure et directe (l’amour filial et l’amitié ne se contrôlent pas) avec une réflexion plus en profondeur sur la société.
En fanfare montre que la fusion de genres opposés produit les plus beaux résultats. Thibaut et Jimmy sont ces héros du quotidien portés par leur passion, dont les souffrances intérieures, les manques et les frustrations, seront comblés par la présence de l’autre, ce double qui attire et repousse dans un va-et-vient permanent. L’engagement du cinéaste se retrouve symboliquement dans le regard plein de générosité qu’il pose sur l’ensemble de ses personnages, jusqu’au dernier figurant auquel il accorde aussi une valeur et une raison d’être à l’image. La fibre sociale d’Emmanuel Courcol, on la retrouve concrètement dans l’importance qu’il accorde au collectif et à la solidarité (c’est un film de groupe). Elle surgit surtout dans la tendresse qu’il témoigne pour ces harmonies de village qui participent à ce sens de la fête, de la convivialité et de l’égalité dont a besoin toute société pour vivre en communauté.
S’il y a un film français à ne pas manquer en cette fin d’année, qui remet de l’humanité dans le débat, qui ne galvaude pas l’expression (pourtant si usée) du vivre-ensemble, qui montre qu’en adoucissant les moeurs la musique joue un rôle clé dans l’épanouissement personnel et collectif, c’est bien En fanfare et son titre résolument programmatique !
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux